DE THOMAS MORE À PUBLIFIN
En 1516, Érasme fait publier à Leuven la première édition de L’Utopie de Thomas More, homme politique anglais inventeur du terme utopie. Pour le 500e anniversaire de cet événement, l’Université catholique de Louvain (UCL) a publié des extraits de L’Utopie commentés par des membres de la communauté universitaire néo- louvaniste. Cette publication fait partie de multiples initiatives organisées lors de l’année académique 2015-2016 afin «de mettre en avant une multitude d’utopies avec un u minuscule, une multitude d’idées modestes mais audacieuses qui ne sont réalisées nulle part et peuvent sembler irréalisables, mais n’en méritent pas moins de nourrir nos espoirs» (1). La Ville de Leuven et la KUL ont organisé également différentes manifestations, dont la magnifique exposition «À la recherche d’Utopia» sur la publication de L’Utopie et son contexte historique, tant au niveau artistique que technique et scientifique, autour de deux notions – l’univers et le temps – et avec la perspective selon laquelle «il faut rêver pour réaliser un monde meilleur».
Comme on le sait, de nombreuses utopies ont fait l’objet d’écrits et certaines ont été réalisées avec plus ou moins de succès. Et à l’occasion du 500e anniversaire de la première édition de L’Utopie, de nombreux articles et ouvrages ont été publiés, le philosophe de l’urbain et essayiste Thierry Paquot ayant signalé que, rien qu’entre 1935 et 1997, pas moins de 1.649 études ont été publiées sur More !
Le même Thierry Paquot a adressé à More cinq lettres écrites sur un ton cordial et d’amitié «Cher Thomas, tu …». Il y présente des éléments du projet utopique de son correspondant, fait le lien avec des utopies qui ont été développées par la suite et interroge le présent. Un livre chaleureux qui nous fait entrer dans l’intimité de deux amis savants et modestes (2).
De notre côté et aussi étonnant que cela puisse paraître à première vue, nous voulons associer ici More et Publifin. Publifin est un séisme économico- politique systémique qui englue Liège et sa province, les intercommunales et des dizaines de sociétés. Au-delà des cumuls et des salaires, c’est tout un système malsain de liens souvent opaques entre institutions publiques et sociétés privées qui est dévoilé. Un système au profit de quel projet et de quel bénéfice pour la Wallonie ? Pour reprendre un terme éculé, mais qui garde tout son sens : quelle gouvernance politique et économique voulons-nous?
Quant à Thomas More, qui fut décapité sur l’ordre du roi Henri VIII et canonisé en 1935, il fut proclamé patron des gouvernants et des hommes politiques par le pape Jean-Paul II le 26 octobre 2000. Mais Thierry Paquot signale que, si tout pâtissier sait bien que saint Honoré le protège, aucun député français interrogé n’a pu lui dire qui était son saint patron. Et pourtant, beaucoup de politiques et de citoyens devraient connaître les propos oh combien toujours d’actualité du saint anglais. En effet, comme l’a aussi rappelé Paquot, l’helléniste français Guillaume Budé a, dans une lettre préface de l’édition de 1518 de L’Utopie, résumé «les ‘trois principes divins’ que tu t’efforces de circonscrire : ‘l’égalité des biens et des maux entre les citoyens ou, si vous préférez, la citoyenneté complète pour toutes les classes ; l’amour constant et tenace de paix et de la tranquillité ; enfin, le mépris de l’or et de l’argent : trois antidotes, si j’ose dire, de toutes fraudes, impostures, duperies, fourberies et machinations malhonnêtes’.». Et Paquot d’estimer encore que ces trois recommandations sont toujours valables, tandis qu’on notera que le titre de l’ouvrage «Le triomphe de la cupidité» de l’Américain Joseph E. Stilgitz, prix Nobel d’économie 2001, vaut déjà tout un discours (3). Ainsi, l’évocation du 500e anniversaire de la première édition de L’Utopie et de l’affaire Publifin, mais aussi diverses manifestations populaires dénonçant la corruption, notamment en Roumanie et en France, rappellent qu’il faut diagnostiquer, enquêter, prendre des mesures fortes et les appliquer, mais surtout construire un autre monde. Naïveté, diront certains ! mais pour Thierry Paquot encore : «un monde sans utopie est un monde condamné à mourir de froid. Je pense qu’il faut se réchauffer les coeurs par l’imagination qui invente des utopies et, si possible, les expérimenter», mais il faudra «simultanément désoccidentaliser notre esprit et l’écologiser », si bien que « la devise n’est donc plus ‘liberté, égalité, fraternité’, mais ‘générosité, diversité, équité’.» (4).
Voilà, en tout cas, de quoi nourrir ce que Église-Wallonie doit continuer à développer et à promouvoir grâce au travail de ses membres, tous bénévoles, et de ses sympathisants. Et en faisant réseaux avec d’autres.
Pour le Comité Église-Wallonie,
Luc Maréchal, président
PS Comme indiqué dans ce numéro, vont dans le même sens de ce qui vient d’être relevé la lettre Populorum communio des Évêques de Belgique et l’invitation des partenaires de Entraide et Fraternité au Guatemala prônant le «buen vivir» ou un meilleur vivre ensemble entre humains et avec la Terre.
(1) V.A., Chemins d’Utopie, Thomas More à Louvain, 1516-2016, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2015, 180 pages. (2) Thierry Paquot, Lettres à Thomas More sur son utopie (et celles qui nous manquent), Paris, Éditions La Découverte, 2016,180 pages.
(2) Thierry Paquot, Lettres à Thomas More sur son utopie (et celles qui nous manquent), Paris, Editions La Découverte, 2016, 180 pages.
(3) Joseph E. Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, traduction de l’américain par Paul Chemla, Arles, Éditions Actes Sud Leméac, 2012, 516 pages.
(4) Thierry Paquot, Nous ne cherchons pas assez à être heureux, dans Le Monde, La Vie, L’Atlas des Utopies, 2017, pp. 179-182.
Bulletin d’EW, 1/2017, éditorial